Les 30 et 31 août 2010, les membres du bureau de l'Union Nationale des Mini Laiteries et des producteurs de lait local, quelques membres de la Table Filière Lait, et des représentants de la société civile se sont réunis à Ouagadougou pour examiner ensemble le Programme de Développement de la Filière Lait Local au Burkina Faso.
Il s'agit d'un programme établi par un Bureau d'étude de la place de Ouagadougou, et validé il y a quelques jours par le Ministère des ressources animales. Ce programme est ambitieux puisqu'il a pour objectif (Document p. 2) de « générer suffisamment de lait local pour réaliser l'autosuffisance alimentaire en lait et produits laitiers. »
Les participants présents à cette rencontre ont tenu à saluer cette ambition, mais ils ont surtout manifesté leurs inquiétudes. Ces inquiétudes s’expriment clairement dans un document (Chances et Menaces du Programme de Développement de la Filière Lait Local au Burkina Faso , en abrégé, ci-dessous : « Chances et Menaces ») qu’ils veulent partager avec tous leurs partenaires, ainsi qu’avec tous ceux du Ministère des Ressources Animales, dont certains les ont accompagnés pendant de nombreuses années. Grâce à eux, aujourd’hui, ils sont fiers d’offrir des produits laitiers de qualité, bien appréciés des consommateurs. Et voilà qu’aujourd’hui, tout cela est déclaré « dépassé », sans avenir, et qu’un nouveau programme (il est bien dit « programme », car il ne s’agit pas d’une politique qui embrasserait tous les acteurs…) est proposé qui s’appuiera sur de nouveaux acteurs.
Voici quelques-uns uns des éléments de ce document :
« Les petits producteurs qui pratiquent un élevage traditionnel ne sont pas pris en compte. En lisant attentivement ce programme, il apparaît qu'il est construit presque exclusivement sur les élevages des nouveaux acteurs. D'où le choix préférentiel des bassins laitiers de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, avec cette justification : « Cette option part du principe qu’il n’est pas possible de travailler avec tous les éleveurs, du moins au début. C'est incontestable. Nous ne demandons pas que dès la première année le programme se tourne vers tous les éleveurs du Burkina, modernes ou traditionnels. Mais nous demandons que les éleveurs traditionnels soient fortement pris en compte dès la première année.
Nous ne pouvons pas accepter que notre gouvernement valide en l'état un programme qui envisage sans trembler d'arracher aux femmes qui pratiquent en famille l'élevage traditionnel, ce qui les fait vivre, elles et leurs familles : le prix de la vente du lait. C'est pourtant ce que nous lisons sous la rubrique « Aspects socioculturels, genre et développement »:
« L’aspect genre et développement devra être pris en compte pour éviter l’exclusion et le renforcement de la pauvreté. En qui concerne le cas particulier du lait, produit traditionnellement par les femmes le développement de la filière par l’exécution du programme pourrait les priver d’une source de revenus habituels. » (Fin de citation)
Nous pensons en effet, que le programme, tel qu'il est conçu, aura pour effet de priver les femmes de ce qui les faisaient vivre, elles et leur famille : le revenu de la vente du lait. Elles seront marginalisées ainsi que leurs familles et condamnées, non pas à la pauvreté, mais à la misère. La paix sociale ne sera plus garantie.
Il ne suffit pas de proposer à quelques femmes de faire de l'embouche, pour rendre le programme supportable et acceptable. C'est pourtant ce qui est proposé :
« Toutefois, à titre de mesure d’accompagnement il est possible de développer une activité connexe avec les produits dérivés du programme ; il s’agit de l’embouche des taurillons issus de l’élevage intensif que les femmes pourraient mener en vue de générer des revenus en remplacement de la vente de lait. »
b. Nous ne comprenons pas pourquoi nos vaches sont disqualifiées d'office sans analyse. Pourquoi s'intéresser exclusivement aux 40 000 vaches laitières des élevages intensifs (qui donnent déjà le maximum de ce qu'elles peuvent donner), et « oublier » les deux millions de vaches qui sont traites chaque année dans les élevages traditionnels (ou, pour commencer, les 500 000 qui sont dans un élevage de type sédentaire). C'est pourtant de ce côté que les marges de progrès sont les plus fortes. Pourquoi ne pas accompagner les petits éleveurs, pour leur permettre d'améliorer l'alimentation de leur bétail de façon significative, et par-là, la production de lait, à partir des races locales.
c. Nous ne comprenons pas pourquoi les laiteries artisanales sont disqualifiées d'office sans analyse : « La stratégie antérieure qui s’appuyait sur les mini-laiteries (UTL : pour Unité de Transformation Laitière) pour promouvoir la culture laitière au niveau de toutes les catégories sociales et dans toutes les zones, a atteint ses limites. En effet, (i) les exigences des consommateurs et la réglementation rendent obsolètes bon nombre d’UTL et (ii) ces UTL ne sont pas en mesure d’assurer une collecte optimale de lait (iii) ni de proposer des solutions adéquates aux fluctuations spatio-temporelles de la production du lait local. » Non, ces laiteries sont limitées, mais elles n'ont pas atteint leurs limites. Pourquoi ne pas les intégrer au programme et les aider à être performante ? »
Nous invitons les lecteurs intéressés à lire l’ensemble du document « Chances et Menaces », et notamment les propositions qui y sont faites. Ceux qui voudraient se faire une opinion personnelle à partir des deux documents du Ministère (Le Diagnostic et le Programme laitier) peuvent nous faire signe.
Pour terminer cette lettre un peu plus longue que d’habitude, voici la conclusion du document « Chances et Menaces » :
« En s'appuyant presque exclusivement sur les élevages modernes, ce programme va avoir une influence néfaste sur l’élevage traditionnel qui sera une fois de plus le parent pauvre, marginalisé et même peut-être exclu du système. Il en résultera une amplification des migrations et des conflits avec les autres acteurs, y compris ces « nouveaux éleveurs » privilégiés, à cause de la compétition exacerbée sur l’exploitation des maigres ressources naturelles marginales qui resteront disponibles. La paix sociale sera fortement compromise.
Il transparaît derrière ce programme une sorte d’aveu d’incapacité à appuyer convenablement le secteur de l’élevage traditionnel pour lui permettre d’évoluer. Quand on aura privé les éleveurs traditionnels de leur lait, que va-t-il leur rester pour améliorer leur élevage et leurs revenus ? Comment pourront-ils scolariser leurs enfants ? Le gouvernement peut-il prendre le risque de marginaliser plus de 10 % de sa population ? »
Koudougou, le 2 septembre 2010 Maurice Oudet Président du SEDELAN |